L'égalité des territoires en question
Deux rapports sont parus en février 2013 pour justifier et alimenter les politiques de réduction des inégalités territoriales, en particulier à l'égard des zones rurales... sommées d'assumer leur isolement et leur sous-équipement en facilitant la mobilité de leurs habitants.
Vers un commissariat général à l'égalité des territoires
A demande du Ministère de l'Égalité des territoires, la commission pour la création d'un commissariat général à l'égalité des territoires a proposé 5 scénarios qui correspondent à différentes conceptions du but à atteindre :
- l'accès à un socle de services et d'infrastructures commun sur tout le territoire,
- la coopération entre territoires et la construction d'une vision partagée,
- le pilotage de politiques publiques dédiées aux territoires en difficulté,
- la compensation par l'État des inégalités de moyens entre territoires,
- ou encore la supervision de l'ensemble des politiques publiques dans un objectif d'égalité entre territoires...
En tout état de cause, le nouveau commissariat pourrait intégrer des administrations existantes, telles que la Datar.
Mais qu'est-ce que l'égalité territoriale ?
Parallèlement, le Ministère de l'Égalité des territoires a confié à l'économiste Eloi Laurent "une mission de réflexion sur l'égalité des territoires". Depuis le 22 février dernier, 23 contributions de chercheurs (géographes, économistes, sociologues...), toutes commentées par des élus, sont disponibles en ligne.
Leur objectif :
- décrire les principales "ruptures territoriales" de la France d'aujourd'hui
- mesurer les nouvelles inégalités territoriales, en matière de développement humain et d'environnement
- proposer des indicateurs et des leviers d'action pour réduire toutes ces inégalités
Une longue introduction décrit l'idéal d'égalité entre les territoires comme une égalité "de destin" entre les citoyens : "l'égalité permise ou contrainte par les territoires, l'égalité portée par les territoires", sachant que les ruptures "ne sont pas compensées par les déplacements volontaires des Français(es), dont la mobilité résidentielle et interterritoriale demeure faible".
Comment réduire les inégalités entre citoyens ruraux et urbains ?
Parmi les différentes contributions qui constituent ce rapport, figure un chapitre sur les espaces ruraux isolés, c'est-à-dire à distance des aires urbaines décrites par l'Insee.
Les inégalités entre territoires ruraux et urbains sont exclusivement envisagées par ses trois auteurs comme des inégalités d'accès aux avantages urbains (commerces, services, emplois...). Les pistes d'action proposées sont donc :
- d'améliorer leur desserte routière et ferroviaire et leur offre de transport en commun,
- d'appuyer le développement de pôles locaux d'emplois et de services, à condition de "préserver les fonctions écologiques les plus sensibles à l'antropisation",
- de compenser financièrement le handicap de la situation géographique pour les personnes et les entreprises, y compris en facilitant leur mobilité vers les pôles urbains.
Mais les chercheurs se concentrent surtout sur les raisons pour lesquelles "désenclaver" les territoires ruraux :
- parce que les habitants de ces territoires n'ont pas tous choisi d'y vivre (c'est-à-dire de vivre loin des services présents en ville),
- parce que certains de ces territoires ont des potentiels de développement économique et touristique justifiant les investissements publics,
- parce que l'enclavement géographique génère des difficultés sociales qui renforcent l'enclavement géographique des personnes aux revenus modestes ou diminuées physiquement... qu'il s'agirait d'aider à déménager en ville.
Le député de la Lozère Pierre Morel L'huissier réagit vivement à cette analyse en dénonçant des recommandations "inopérantes" et sans lien avec les souhaits des habitants des espaces ruraux.
- dans un discours du 22 février, la Ministre de l'Egalité des territoires a dénoncé "le contresens historique de ceux qui défendent une métropolisation libérale du pays", les territoires ruraux n'étant "ni des réserves foncières pour exfiltrer les populations dont on ne veut plus en ville, ni des terrains de jeux pour les citadins"...
- mais de son côté, le géographe Philippe Estèbe n'hésite pas à dénoncer le "lobby des élus ruraux" ; pour lui "on peut accepter d'avoir plusieurs modèles de développement" puisque "les gens vivant à la campagne ont accès, grâce à la mobilité, aux services de la ville moyenne du coin" !
- l'économiste Laurent Davezies semble partager ce point de vue dans le chapitre du rapport sur Les territoires face à la crise : "L'avenir de nos territoires, que l'on doit essayer d'anticiper avec prudence, est un sujet important. Mais l'avenir des populations l'est plus encore. Leur destin n'est pas obligatoirement lié à celui des territoires sur lesquelles elles vivent aujourd'hui. La mobilité résidentielle constituera pour elle une possibilité d'ajustement majeure".