Le numérique au service des acteurs et des projets de développement local

Un article de référence sur les liens, enjeux... entre développement local et numérique

Cap Rural a réuni en ligne le 15 mai 2023, dans une session d'exploration, les intervenants suivants : le tuteur du campus connecté de la commune de Bourg Saint Maurice - Les Arcs (73), les deux responsables de la Micro Folie de la commune de Craponne-sur-Arzon (43), la technicienne en charge d'un dispositif de veille foncière à la communauté de communes de la Vallée du Garon (69). Les différents volets et outils numériques de pilotage, d'aide à la décision et d'animation territoriale déployés par l'Agglomération du Grand Annecy (74) ont également été présentés.

Autour de ces témoignages, et avec les participants, a été appréhendée la manière dont les agents de développement s'emparent du numérique dans leurs projets et en quoi le numérique peut être un levier de développement local.

L'article de référence ci-dessous décrypte en détail ces différents points.


A propos de la session "Le numérique comme levier de développement local dans les territoires"

Cette session a été le prolongement d'une première session réalisée en 2022 intitulée "Espace rural et développement local : comment le numérique fait bouger les lignes ?" : on y décryptait alors la manière dont le numérique vient se mailler avec le développement local. Les témoignages et constats de 2023 s'articulent à ceux de 2022, si bien que des renvois réguliers dans l'article ci-dessous vous permettront de naviguer des uns aux autres afin d'embrasser l'intégralité des observations issues des travaux et sessions de la mission numérique de Cap Rural.

Étaient présents en 2023 pour témoigner :

  • Katia Herrgott, chargée de Développement Agriculture et Environnement à la communauté de communes de la Vallée du Garon (CCVG), qui est revenue sur le dispositif de veille foncière mis en place par l'intercommunalité en lien avec ses partenaires pour préserver l'usage des terres à motif agricole ou environnemental dans le cadre des stratégies Agriculture 2030 et Biodiversité 2024-2034.
  • Charlène Imbert, chargée de mission Centre-Bourg et Anaïs Delcroix, chargée de développement culturel/médiathèque à la commune de Craponne-sur-Arzon, qui ont présenté leur Micro-Folie, plateforme numérique de médiation culturelle de proximité implantée dans la mairie et partie du projet de revitalisation du centre-bourg
  • Sylvain Cachat, tuteur du Campus Alpin de Bourg Saint Maurice - Les Arcs (BSM), qui a exposé les grandes lignes du campus connecté dont il est en charge, qui offre à la vallée de la Tarentaise une opportunité de formation supérieure pour des publics variés
  • Laurie Barant, chargée de mission Usages et cultures du numérique à Cap Rural, qui a présenté les différents volets et outils numériques de pilotage, d'aide à la décision et d'animation territoriale déployés par une communauté d'agglomération : le Grand Annecy

Pour mémoire : le programme de la session

Micro-Folie : "Soutenu par l'État, supervisé par le Ministère la Culture et accompagné par La Villette, le dispositif Micro-Folie consiste à intégrer un Musée Numérique au cœur d'un équipement déjà existant. D'autres modules complémentaires – tels qu'un FabLab, des postes de réalité virtuelle, ou encore un espace scénique - peuvent compléter l'offre de la Micro-Folie." Cf. ministère de la Culture

Campus connecté : tiers-lieu qui accueille et accompagne des étudiants inscrits dans une formation de l'enseignement supérieur à distance et bénéficie d'un label de l'État. Cf. ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche

Le numérique, un levier de développement local ?

Les territoires ruraux peuvent faire face à une diversité de problématiques : isolement ou enclavement, mobilité complexe, accès limité à certains services publics (santé, éducation, commerces…), centres-bourgs dévitalisés, perte de population… En fonction des situations, qui diffèrent fortement selon les espaces observés, le numérique peut avoir un effet "correctif", en facilitant l'accès aux services ou les liens et les échanges, en participant au maintien ou à la création d'activités, en renforçant la cohésion sociale, en ouvrant à d'autres financements... (cf. Le numérique comme vecteur de dynamisme dans les territoires, Cap Rural ; et Le numérique comme opportunité pour renouveler les manières d'imaginer, de vivre, d'aménager le territoire, Cap Rural). En ce sens, il offre aux espaces ruraux des clés de rééquilibrage territorial.

Ces territoires sont aussi des espaces porteurs de dynamiques fortes - autour de l'alimentation, de la culture ou de l'emploi... - avec un maillage dense d'acteurs (tissu associatif riche, concentration d'acteurs culturels…), des pratiques sociales bien développées et un foisonnement de projets et de réflexions déjà engagés. Ce terreau très riche peut être alimenté par le numérique, qui peut dans ce cas avoir un effet "amplificateur" ou "facilitateur", en s'intégrant à une stratégie plus vaste de développement local.

Le numérique, un moyen de...

Toucher de nouveaux publics

La dématérialisation d'un grand nombre d'informations et de services peut faciliter l'accès des publics à ceux-ci. Par ailleurs, la diversité des canaux ou des supports proposés par le numérique peut contribuer à toucher des publics variés, qui n'avaient parfois pas encore été atteints, en produisant des résultats différents des outils plus "traditionnels" (présentiels). Cela suppose de porter une attention aux questions d'inclusion numérique.

L'Agglomération du Grand Annecy souhaite renforcer la participation citoyenne en permettant à davantage de personnes de faire entendre leur voix, notamment des publics non habituels. En ce sens, une plateforme numérique de participation appelée Je Participe a été lancée en décembre 2022 ; elle est mutualisée avec les communes du territoire qui le souhaitent. Les objectifs sont de venir compléter les consultations et concertations en présentiel et de leur donner davantage de visibilité.

Le Campus Alpin de Bourg Saint Maurice - Les Arcs offre un service dédié à la population du territoire, avec une attention spécifique portée à la jeunesse, aux travailleurs saisonniers et aux retraités. Le dispositif seul ne suffit pas, il est complété par un certain nombre d'actions de promotion visant à encourager ces publics à venir se former. A l'été 2023, après une année de fonctionnement, le bilan est positif, avec un accueil accru de saisonniers à la rentrée suivante.

Les différents modules de la Micro-Folie de Craponne-sur-Arzon et la présence d'une médiatrice ont permis de travailler avec les écoles, les EHPAD et le centre social, avec des animations spécifiquement dédiées, construites sur mesure pour ces publics. Une multiplicité de résultats découle de la combinaison entre le côté ludique du numérique, l'appui sur des œuvre du monde entier, les expériences des pensionnaires de l'EHPAD et le programme scolaire.

Envisager des solutions nouvelles à des enjeux ou problématiques

Partout dans le rural émergent des projets possédant une dimension numérique : Maison France Services (MFS), Conseiller Numérique France Services (CNFS), Micro-Folie, campus connecté, plateforme de mise en visibilité de l'offre du territoire et d'achat groupé de produits locaux, plateforme de participation citoyenne, inventaire participatif numérique, espace de coworking, tiers-lieux… Ils aident à décaler le regard pour envisager d'autres réponses, inédites et spécifiques, aux enjeux des territoires (mobilité, jeunesse, services…). Ils viennent en complémentarité de méthodes plus "traditionnelles" du développement local.

La Micro-Folie de Craponne-sur-Arzon permet d'intensifier le volet culturel de la stratégie de revitalisation du centre-bourg et de pallier les problématiques de mobilité en faisant venir des œuvres du monde entier dans une commune rurale de moins de 3000 habitants.

Grâce au Campus Alpin, la vallée de la Tarentaise dispose d'un outil donnant la possibilité aux habitants actuels ou potentiels d'accéder à la formation supérieure dont était jusque-là dépourvu le territoire. Il offre une opportunité aux jeunes de rester vivre pendant leurs études, aux travailleurs saisonniers de diversifier leur activité et aux athlètes d'étudier au plus près de leur lieu d'entraînement. En cela, il vient répondre à des besoins collectifs encore mal exprimés ou définis. Par ailleurs, le dispositif ouvre le territoire à de nouveaux moyens de répondre à des enjeux de transition écologique et économique (voir ci-dessous).

Le logiciel de Système d'Information Géographique (SIG) mis en place par la CCVG, ainsi que la collecte et l'exploitation des données, soutiennent la montée en puissance de la stratégie de préservation des terres agricoles et environnementales. Ils facilitent le travail de la chargée de mission grâce à un dispositif opérationnel de suivi et des outils performants d'information et d'aide à la décision et permettent une meilleure prise en compte des enjeux environnementaux et de biodiversité. Les données ont notamment joué un rôle clé dans l'élaboration de la stratégie Biodiversité 2024-2034, tant pour la partie diagnostic (meilleure connaissance du territoire, identification des "trous dans la raquette"…), que pour le passage du diagnostic au plan d'actions (allocation de ressources pour la collecte de données manquantes, évaluation des effets des actions grâce aux informations issues des données…).

Servir de tremplin à une stratégie plus vaste

Le numérique peut servir de socle à un ensemble d'actions contribuant à la mise en œuvre d'une stratégie de développement local. Car une première action s'appuyant sur le numérique - comme la création de la Micro-Folie ou du Campus Alpin - rend visible et possible des opportunités jusque-là inaperçues ou inaccessibles. Le numérique joue ici un rôle de connecteur (entre des personnes, des projets, des structures, des territoires…) et d'amplificateur des démarches de développement local émergentes. La meilleure connaissance de ses potentialités permet aux territoires de réfléchir à d'autres façons de le mobiliser pour ses projets (cf. Le numérique comme opportunité pour renouveler les manières d'imaginer, de vivre, d'aménager le territoire, Cap Rural).

Pour le Campus Alpin : le numérique constitue la première pierre d'une vaste stratégie de développement local alliant culture, formation, emploi, transition économique… et visant à faire bénéficier la vallée de nouveaux services et à enclencher sa transition écologique."Sans le Campus Alpin, nous n'aurions pas pu imaginer les autres possibilités de développement que nous allons pouvoir mettre en place à partir de ce projet-là."

A Craponne-sur-Arzon, la culture est l'un des trois volets complémentaires sur lesquels s'appuie le projet de revitalisation du centre-bourg. La Micro-Folie vient s'y intégrer et amplifier les actions mises en œuvre. Elle a également permis à la chargée de mission centre-bourg d'envisager l'utilisation du numérique dans d'autres parties de la stratégie de revitalisation, par exemple pour donner à voir ce à quoi pourrait ressembler le centre-bourg après travaux (via des maquettes, esquisses, en réalité virtuelle…).

Le Grand Annecy a développé divers projets intégrant une dimension numérique et visant à fluidifier la collaboration et renforcer les liens et les échanges, que ce soit en interne avec les élus, les agents et entre les services, ou en externe avec le Conseil de Développement, les communes ou les habitants. Le numérique, par des outils diversifiés (plateforme de participation citoyenne, outils collaboratifs, livre numérique sur la stratégie du territoire…), vient soutenir cette stratégie globale.

Créer et réinventer des outils et des partenariats

Qu'il s'agisse de liens intra-territoriaux - entre la commune et les établissements publics, entre les habitants, avec les acteurs culturels… -, de liens avec des acteurs hors du territoire, ou de liens plus intangibles, entre les habitants et la culture, entre des thématiques variées comme l'économie, l'habitat, la culture, le sport… le numérique peut aider à créer des ponts entre toutes les composantes d'un territoire et entre le territoire et ce qui lui est extérieur.

A la CCVG, la stratégie foncière agricole et environnementale repose sur une gouvernance partenariale élargie comprenant des acteurs clés pour la gestion des ressources (communes, Safer, Département, associations naturalistes et locales, syndicats de rivières…). Elle permet la mise en commun des données nécessaires à la connaissance et au suivi fins des espaces agricoles et naturels et induit une grande réactivité dans la prise de décision concernant l'exercice du droit de préemption lors des ventes. L'outil de SIG et toutes les données qu'il contient est mutualisé avec les cinq communes de l'intercommunalité et sert de base à un travail collaboratif.

La complémentarité des approches de la Micro-Folie a entraîné un décloisonnement de l'institution "Ville de Craponne-sur-Arzon" avec d'autres établissements présents sur la commune (écoles, centre social, EHPAD, acteurs culturels…) ; certaines écoles ont notamment intégré des activités en lien avec le dispositif dans leur programme scolaire.

Dans le cadre de sa stratégie de territoire "imagine le Grand Annecy 2050", l'agglomération a conçu un livre numérique, Imabook, dont le premier tome présente la démarche, le deuxième l'état d'avancement des différents objectifs, axes et ambitions, ainsi que l'avis de l'observatoire citoyen, et le troisième les chiffres clés et des cartes du territoire. Cet "objet" permet de mettre en récit et de conserver la mémoire de la démarche globale en favorisant son imprégnation par tout le monde à tout moment. Il offre également un support pour raccrocher les différents services à un même projet et un outil de pilotage pour le faire vivre. Cela facilite la convergence vers des objectifs communs.

Agglomération du Grand Annecy a également créé une cellule de projet appelée "Gestion de Projet Acculturation et Outils" (GPAO) pour réfléchir aux enjeux de collaboration entre les directions et à l'harmonisation des outils numériques afin d'avoir un référentiel commun de travail. Cette réflexion repose sur les constats d'une sous-utilisation de la plateforme Nextcloud mise à disposition, malgré des effets positifs observés sur les pratiques de travail collectif (fluidification du partage des informations…), et d'une diversité d'outils utilisés par les agents.

La création de la plateforme de participation citoyenne offre aux communes de la communauté d'agglomération et aux différents services et départements de la collectivité, qui jusque-là travaillaient en silo sur ces questions, un espace de mutualisation de leurs moyens et de visibilité réciproque de leurs actions. Elle contribue également à créer du lien avec les habitants.

Le Campus Alpin illustre parfaitement le rôle de connecteur que peut jouer le numérique, à différentes échelles :

  • A l'échelle du campus : le lieu offre un espace de rencontre et de partage entre des personnes issues de sphères différentes, qu'il s'agisse de jeunes étudiants, de travailleurs saisonniers, de professionnels en reconversion ou bien d'autres habitants du territoire venus assister à un évènement.
  • A l'échelle de la commune : des coopérations entre chargés de mission (chargée de mission Petites Villes de Demain, manager de centre-ville et tuteur du campus) se mettent en place, plaçant le campus au cœur de ses réflexions stratégiques et visant à articuler numérique, formation, culture, économie…
  • A l'échelle du territoire : le campus a servi de terreau pour la mise en place de nouvelles relations de coopération entre deux communautés de communes en apportant une réponse à un enjeu partagé par ces territoires. La mutualisation de leurs moyens a permis à ce dispositif de voir le jour à Bourg Saint Maurice - Les Arcs. Par ailleurs, de nombreux partenariats ont été développés avec des acteurs de la vallée pour faire la promotion du Campus Alpin et favoriser la mise en lien des étudiants avec les employeurs du territoire.

Mieux valoriser et rendre visible l'offre du territoire, y compris au-delà des limites administratives et géographiques

Ainsi qu'il est expliqué dans l'article de 2022 de Cap Rural "Comment le numérique fait bouger les lignes du développement local et de l'espace rural" (cf. Le numérique comme vecteur de dynamisme dans les territoires, Cap Rural ; et Le numérique pour favoriser l'éclatement des limites administratives), le numérique peut endosser le rôle de passeur de frontières et, de ce fait, favoriser l'accès des habitants du territoire à des ressources extérieures (informations, savoirs, données, services...), offrant un moyen de pallier certaines problématiques de mobilité et d'enclavement. Inversement il permet de rendre davantage visibles l’offre et les ressources intrinsèques au territoire à des personnes ou structures extérieures (habitants potentiels, porteurs de projets, étudiants, touristes, incubateurs…), ce qui peut contribuer à son attractivité.

Le Campus Alpin, au-delà de fournir au territoire un accès à un ensemble de formations (voir plus haut), ambitionne de devenir un lieu de promotion de la culture scientifique, de diffusion et transmission des connaissances et savoirs locaux et de mise en visibilité du vivier de professionnels présents sur le territoire. Si l'attractivité aujourd'hui est fortement liée à l'économie touristique, la transition économique dans laquelle s'engage la commune de Bourg Saint Maurice - Les Arcs pourrait avoir un effet sur les types de personnes et de structures venant s'installer sur le territoire.

Le Musée Numérique de la Micro-Folie donne l'opportunité aux habitants de découvrir des œuvres digitalisées du monde entier. Ce service innovant, couplé à des actions à destination de publics non habituels, contribue à améliorer l'accès à la culture sur le territoire. En lien avec le volet réhabilitation du centre-bourg, cela vise à relancer l'attractivité de la commune.

Saisir les opportunités des transformations en cours

Qu'elles soient d'ordre politique, foncier, économique ou environnemental, les transformations dans les territoires viennent réinterroger les acteurs sur leurs priorités et sur la manière dont ils veulent les traiter. Le numérique peut alors devenir une des réponses apportées aux questions qui en découlent. A ce sujet, plusieurs pistes étaient avancées dans l'article de 2022 de Cap Rural "Comment le numérique fait bouger les lignes du développement local et de l'espace rural" (cf. Les crises et les transitions, des opportunités pour le déploiement de solutions numériques porteuses de développement local ?, Cap Rural). De nouveaux points essentiels méritent d'être ajoutés :

  • Articuler le numérique avec les autres solutions induites par ou en réponse aux transformations en cours dans les territoires
  • Pouvoir anticiper les transformations ou bénéfices que le numérique pourrait entraîner pour faciliter son appropriation

La nouvelle équipe d'élus de la CCVG a fait de la transition écologique une priorité de son mandat. Elle souhaite favoriser une meilleure prise en compte des enjeux environnementaux et de biodiversité dans le cadre de ses actions et projets. Elle a ainsi élaboré des stratégies de veille foncière agricole et environnementale dont l'efficacité repose notamment sur un outil numérique de suivi, d'information et d'aide à la décision : un logiciel SIG enrichi de données mutualisées par les partenaires de la collectivité. Celui-ci vient au service d'une gouvernance et d'une organisation déjà rodées, ainsi que d'une volonté politique affirmée de préservation des terres agricoles et environnementales ; en ce sens, le numérique renforce les moyens déployés par la collectivité pour enclencher la transition écologique du territoire.

Le changement climatique impacte fortement les montagnes et l'économie touristique de ces espaces, liée en grande partie à la neige. Dans ce contexte, une transition du modèle socio-économique est inévitable. Les élus de la commune de Bourg Saint Maurice - Les Arcs dans la vallée de la Tarentaise Vanoise l'ont bien compris et ont souhaité s'engager dans une démarche proactive de transition, qui passe par la diversification économique. La clé de voûte de ce vaste projet est le Campus Alpin, qui offre un lieu de formation supérieure et prochainement d'appui à l'entrepreneuriat, afin de faciliter l'accès des habitants du territoire (jeunes, travailleurs saisonniers…) à d'autres métiers du tertiaire.


Le numérique, comment ?

Certains des usages et intérêts du numérique pour les territoires et les projets ont été mis en avant ci-dessus à partir de plusieurs expériences, mais de quelle manière se déploie le numérique, comment et sous quelle forme arrive-t-il dans ces territoires et projets et comment les acteurs peuvent-ils s'en saisir ? Quelles nouvelles perspectives ouvre-t-il ?

En complément : cf. Un renouvellement de la posture et des méthodes de l'agent de développement local, Cap Rural.

De nouveaux outils et méthodes mobilisables par les agents

Cartoparties, cadastres solaires numériques, civic tech, opérations libres, smart villages, plateformes, données, livres numériques… Un grand nombre de méthodes et d'outils de nature différente et incluant une dimension numérique ont émergé et sont mobilisés par les agents de développement local dans leurs projets. Dans certains cas, le numérique est un livrable, comme pour le livre numérique du Grand Annecy, dans d'autres cas il est au service de l'action, comme le logiciel de SIG de la CCVG, voire il peut être un portail de diffusion de connaissances comme la Micro-Folie.

Ces outils viennent entre autres :

  • Aider à la décision et au pilotage
  • Favoriser la collaboration
  • Mobiliser différemment les habitants
  • Faciliter la mutualisation
  • Faciliter le travail en transversalité et l'acquisition d'une vision systémique
  • Renforcer les capacités à impulser de nouveaux projets
  • Fluidifier les relations et accroître les capacités à entraîner les acteurs dans les projets

Il est essentiel de penser l'articulation de ces outils entre eux, notamment au sein d'une structure où les pratiques de chaque agent et service peuvent différer et entraîner ou maintenir une forme de cloisonnement ou de fonctionnement en silo. Une réflexion sur la collaboration numérique, en identifiant les besoins et les usages, est souvent nécessaire pour s'assurer que les outils servent bien le collectif, le projet et leurs objectifs (cf. Ressources numériques : des outils pour construire sa démarche de collaboration numérique, Cap Rural)

La quantité de données introduite dans la base de données du logiciel de SIG permet de mieux appréhender la complexité par le biais d'une vision systémique du territoire. Elle donne à ses utilisateurs la possibilité de croiser des informations précises et géolocalisées afin de mieux saisir les enjeux liés au foncier et d'agir de manière ciblée et efficace.

L'agglomération du Grand Annecy illustre la manière dont un ensemble d'outils numériques peut venir répondre à un ensemble d'objectifs et d'enjeux sur un territoire. Si à ce jour il n'existe pas de stratégie globale autour du numérique sur la collectivité et que les projets s'appuyant sur le numérique restent des initiatives peu connectées les unes aux autres, certains agents s'interrogent sur la manière de créer des référentiels communs, comme en témoigne le projet GPAO (voir plus haut).

La montée en compétence comme condition et résultats des actions mises en œuvre

L'utilisation et la mise à disposition des outils numériques nécessite l'acculturation, la prise en main ou la formation des usagers, qu'il s’agisse des élus, des agents de développement local, des acteurs du territoire ou des habitants. Cette montée en compétence est à la fois une condition nécessaire à la réussite des projets, pour s'assurer de leur bonne appropriation, et le fruit des actions réalisées dans leur cadre.

En complément : cf. Le numérique comme outil pédagogique dans les projets de développement local, Cap Rural, et Le numérique oui, mais à quelles conditions ?, Cap Rural.

Grâce à une formation dispensée par le prestataire en charge de la mise en place du logiciel, les techniciens de la CCVG et des communes ont développé des compétences en SIG. Pour la chargée de mission Agriculture et Environnement, c'était un prérequis nécessaire pour gagner en autonomie et assurer ses missions de veille foncière. Elle insiste également sur la nécessité de dégager du temps pour se former régulièrement, notamment pour répondre à des besoins émergents lors des évolutions du projet. La stratégie foncière environnementale, votée en janvier 2023, requiert en effet l'acquisition et l’intégration d'un grand nombre de données environnementales pour lesquelles une réflexion préalable sur leur exploitation est fondamentale afin de garantir leur utilité pour l'action publique.

La Micro-Folie est un outil pédagogique puissant pour favoriser la montée en compétences, non seulement des élus et des techniciens de la commune sur les potentialités offertes par le numérique, mais également des habitants, tant sur des questions numériques que sur des thématiques en lien avec la culture au sens large. En se combinant avec les programmes scolaires des écoles, le dispositif peut participer à la valorisation d'autres formes d'apprentissage en s'appuyant sur des contenus différents.

La médiation, numérique et culturelle, est primordiale à la Micro-Folie pour favoriser l'acculturation des publics à un dispositif encore peu connu et pour lequel il peut exister des barrières à l'entrée (choix du lieu en mairie, utilisation du numérique, œuvres proposées…)

Le Campus Alpin est un lieu de formation ayant pour ambition de devenir un tiers-lieu de la connaissance, un espace d'une part de mise en visibilité des savoirs et expertises des habitants et acteurs économiques et d'autre part d'acquisition et de diffusion de savoirs extérieurs au territoire. En ce sens, il contribue à la montée en compétences de la population de la vallée de la Tarentaise. Le tuteur ne possédait pas de compétences numériques ; il s'est formé seul et en s'appuyant sur le CNFPT et le réseau des tuteurs de campus connectés.

La mise à disposition du livre numérique Imabook sur la stratégie de territoire donne la possibilité aux habitants de se saisir à tout moment de la démarche afin d'en comprendre les enjeux et les ambitions et pouvoir s'y raccrocher s'ils le souhaitent. Cela leur permet également de mieux comprendre leur territoire et les défis auquel il fait face. C'est également valable pour les élus et les techniciens de l'agglomération.

Les porteurs de projets et chefs de service du Grand Annecy et des communes ont reçu une formation sur la plateforme de participation Je participe avec pour objectifs une appropriation de l'outil et une meilleure autonomie afin de savoir comment faire vivre l’outil.

A Grand Annecy Agglomération, concernant le volet outils collaboratifs numériques, un changement de pratiques et de manières de travailler collectivement est observé au fil de l'appropriation de la plateforme Nextcloud, malgré un déficit d'accompagnement à sa prise en main qui limite sa plus-value pour le collectif. C'est en réponse à cette problématique que la cellule de projet GPAO (voir plus haut) a introduit dans son cahier des charges un important volet de déploiement des outils numériques communs choisis avec appui à la prise en main et formation des techniciens.

Ces outils, méthodes et compétences viennent au service des projets et favorisent entre autres :

  • Un travail en transversalité et une vision systémique : en facilitant la création de nouveaux liens entre structures et thématiques, en donnant à voir finement le fonctionnement et les enjeux des territoires, en accompagnant la mise en place d'une collaboration plus fluide et décloisonnée…
  • Un renouvellement des approches du développement local : en ouvrant le champ des possibles, en aidant à décaler le regard et à aborder les problématiques sous un angle nouveau, en induisant un changement de posture et une nécessité de se former…
  • Une capacité à impulser de nouveaux projets : en encourageant l'expérimentation, en renforçant la mallette de compétences et d'outils des agents…
  • Une capacité d'entraînement et de fluidification des relations : en multipliant les possibilités d'accès et moyens de faire circuler l'information, en offrant des espaces et moyens de rencontre, de communication et d'expression plus nombreux, en facilitant la gestion des aspects logistiques…

Pour un numérique au service des territoires : conditions de réussite des projets

Oser expérimenter et faire au fil de l’eau

En complément : cf. Le numérique comme opportunité pour renouveler les manières d'imaginer, de vivre, d'aménager le territoire, Cap Rural.

L'usage du numérique - qu'il s’agisse d'outils de pilotage ou d'aide à la décision, de plateformes ou bien de dispositifs - induit une part d'inconnu dans les projets, tant dans la manière de s'en saisir que dans les effets qu'il produit. Dans certains cas, il ouvre la voie à d'autres idées, comme pour Bourg Saint Maurice - Les Arcs où le Campus Alpin permet d'imaginer d'autres projets jusque-là imperceptibles, dans d'autres cas il est une solution testée pour répondre à des problématiques spécifiques, comme pour Grand Annecy Agglomération concernant l'articulation des initiatives de participation citoyenne en ligne des services et communes.

Dans tous les cas, il peut être intéressant d'adopter une démarche d'innovation sociale lors de l'introduction d'outils numériques, en considérant ces derniers comme des moyens de répondre à des besoins (mieux articuler les outils de participation en ligne…), des aspirations (mieux prendre en compte les enjeux environnementaux…) ou des problématiques (absence de certains services…) et d'amener des bienfaits aux niveaux individuel et collectif. Cette introduction induit un changement au niveau des pratiques et des normes sociales au fil de son adoption et peut amener à des détournements sources d'innovation, comme dans le cas de la Micro-Folie où le numérique est désormais envisagé à d'autre fins que culturelles. Cette approche d'innovation sociale comprend nécessairement une phase d'expérimentation, de prototypage (A lire : fiches expérience "Plateforme Brûle ta bûche" et "Plateforme Urféco", ainsi que l'article Comment le numérique fait bouger les lignes du développement local et de l'espace rural), permettant d'adapter l'outil aux usages et aux besoins pour faciliter son appropriation par le plus grand nombre.

Pour cela, l'outil numérique doit être :

  • Identifié : reçu, connu
    • La Micro-Folie est largement présentée auprès des publics par divers biais pour la rendre visible et lisible, soit auprès des écoles, EHPAD et centre sociaux, soit lors d'évènements culturels où elle bénéficie d'un stand
    • De nombreuses actions visent à faire connaître largement le Campus Alpin auprès des habitants du territoire : évènements grand public, temps de promotion auprès de structures emblématiques du territoire…

  • Vécu : testé, expérimenté, utilisé, amélioré, partagé
    • L'outil de SIG va être enrichi des données environnementales collectées lors du diagnostic réalisé pour la stratégie foncière environnementale. Il est aujourd'hui largement utilisé par la CCVG et ses partenaires
    • La plateforme de participation citoyenne en ligne du Grand Annecy est en phase de test pour deux années afin de juger de son intérêt pour le territoire et ses habitants

  • Utilisable : adapté aux usages et accessible
    • Craponne-sur-Arzon a fait le choix de ne pas laisser en accès libre la Micro-Folie, mais de s'appuyer sur une médiation numérique et culturelle pour faciliter l'appropriation du dispositif par les publics
    • La démarche GPAO du Grand Annecy vise à mettre en place des outils numériques supports de la collaboration, qui tiennent compte des usages et besoins recensés lors d'une phase d'enquête

  • Adopté : reconnu et validé dans son utilité
    • La chargée de Développement Agriculture et Environnement de la CCVG témoigne de l'utilité indéniable de l'outil SIG pour ses missions de veille foncière et de la manière dont il facilite une montée en puissance de ses actions
    • De nouveaux étudiants s'inscrivent au campus connecté, y compris de profils différents de ceux présents lors du lancement du dispositif.

Pour aller plus loin, voir la bibliographe en bas de page.

S'appuyer sur les méthodes et outils du développement local

Si le numérique peut constituer une innovation en matière de pratiques, les outils et méthodes du développement local continuent de s'appliquer aux projets et peuvent constituer des piliers sur lesquels s'appuyer ou des principes d'action à respecter pour faciliter son introduction. Nous pouvons notamment citer :

  • Mettre en place une animation territoriale :
    • Les groupes de travail de la stratégie foncière environnementale et le comité local d'agriculture composent une gouvernance bien établie qui, alliée à un circuit de communication et de décision clair entre Safer, Département, communes et CCVG, est garante de l'efficacité du dispositif de veille. Elle vient en complémentarité et est renforcée par l'outil SIG
  • Adopter une approche systémique :
    • Le Campus Alpin est une des briques d'une vaste stratégie de développement local qui s'appuie notamment sur l'éducation, l'emploi et la culture et cherche à articuler plusieurs initiatives déployées au sein de la commune

  • Articuler le court et le long termes :
    • La Micro-Folie permet de donner à voir directement aux habitants les actions déployées par la commune pour revitaliser le centre-bourg ; à contrario, les impacts de l'axe habitat, qui induit de lourds investissements et travaux, ne pourront se mesurer que sur du long terme. L'articulation de ces actions favorise l'acceptation du temps long par les habitants tout en maintenant une dynamique au sein de la commune

  • Faire un diagnostic de ses besoins :
    • Afin d'identifier les besoins auxquels le campus connecté devra répondre et ainsi identifier ses publics cibles, la commune de Bourg Saint Maurice - Les Arcs a réalisé un diagnostic de son territoire. Cette étape était essentielle pour s'assurer de l'utilité du dispositif et son appropriation par les habitants. Dans le cas du Grand Annecy, l'équipe projet en charge de la démarche GPAO recense les pratiques et les besoins des agents au travers d'entretiens et d'ateliers avant de choisir le ou les outils communs qui seront déployés. Cette phase de diagnostic n'est pas négligeable, puisqu'elle s'étalera sur une année

  • S'appuyer sur un binôme élu/agent :
    • L'ensemble des expériences présentées dans les sessions par Cap Rural en 2023 et 2022 reposent sur une volonté politique forte doublée d'un engagement des agents de développement local, garants de la réussite des projets. Dans le cas de la veille foncière agricole et environnementale, la stratégie Biodiversité 2024-2034 répond aux priorités de transition écologique de la nouvelle équipe d'élus. La Micro-Folie bénéficie également d'un portage politique fort du fait de son intégration dans la stratégie de revitalisation du centre-bourg et d'accueil de nouvelles populations

  • Constituer ou fonctionner avec une équipe projet :
    • La démarche GPAO du Grand Annecy s'organise autour d'une équipe projet de cinq personnes aux profils complémentaires, en charge de piloter la réflexion et l'avancée du projet. A Bourg Saint Maurice - Les Arcs, l'équipe projet informelle composée du tuteur, de la manageur de centre-ville et de la chargée de mission PVD permet de donner une cohérence aux actions entreprises grâce à une approche transversale

S'appuyer sur et mailler avec une nouvelle ingénierie du développement local

Avec le numérique, de nouveaux profils d'agents apparaissent dans les structures ; si tous ne sont pas dans une démarche de développement local, mais peuvent avoir des compétences à mettre à disposition des projets, comme les deux salariés embauchés en 2021 par Grand Annecy Agglomération sur des postes purement numériques ou bien les Conseillers Numériques France Service (CNFS) essaimés dans toute la France, d'autres en revanche se situent à la frontière entre numérique et développement local, comme la médiatrice de la Micro-Folie ou le tuteur du Campus Alpin, et font le lien entre différentes politiques publiques et projets.

Cela vient soulever un ensemble de questions :

  • Quels sont ces nouveaux métiers liés au numérique qui émergent dans les structures ? En quoi et comment peuvent-ils être mis au service des projets de développement local ?
  • Comment favoriser une montée en compétences de ces nouveaux agents sur les questions de développement local ?
  • Comment mobiliser ces agents dans des projets de développement local et les mailler avec l'ingénierie existante ?

S'appuyer sur une complémentarité entre proximité et digitalisation

Si le numérique renvoie à des réalités de dématérialisation, avec données stockées dans des data centers plus ou moins lointains, œuvres du monde entier numérisées dans des musées virtuels, visios pour assister à des formations en ligne, une part reste fortement ancrée dans la matière, dans le territoire et dans l'humain. Pas de Micro-Folie sans médiatrice culturelle et numérique et tablettes, pas de campus connecté sans tuteur et sans locaux, pas de veille foncière sans chargée de Développement, comité local d'agriculture et groupe de travail biodiversité, pas de plateforme de participation citoyenne sans projets à soutenir et sans techniciens pour l'animer.

Ainsi, la complémentarité entre proximité et digitalisation passe par l'élaboration de solutions numériques spécifiques au territoire, ancrées dans une réalité humaine, adaptées aux besoins locaux, valorisant et s'appuyant sur les ressources du territoire, que l'effet recherché du numérique soit correctif ou amplificateur (voir ci-dessus).

Cela suppose de mettre le numérique au service :

  • D'une gouvernance, une organisation préexistante et fonctionnelle, comme c'est le cas pour les stratégies foncières agricoles et environnementales de la CCVG
  • D'une ambition, une stratégie : les témoins et participants à la session l'ont souligné très explicitement : "le numérique ne se suffit pas à lui-même". Dans chacun des projets présentés, le numérique et ses potentialités s'intègrent dans un projet ; ils ne sont ni l'unique outil, ni la finalité (voir ci-dessus)
  • Du public : les solutions mises en place cherchent à répondre à des problématiques vécues par les bénéficiaires visés. Elles doivent donc être pensées pour eux, c'est-à-dire adaptées à leurs usages, et un accompagnement spécifique à la prise en main peut être nécessaire

Se saisir des opportunités proposées par les dispositifs institutionnels

Avec la Micro-Folie et le campus connecté, Craponne-sur-Arzon et Bourg Saint Maurice - Les Arcs ont toutes deux misé sur des dispositifs institutionnels pour mettre en œuvre des volets de leur stratégie. S'il s’agit de démarches descendantes, à priori antagonistes des principes du développement local, il peut néanmoins être tout à fait possible de les adapter aux besoins et enjeux du territoire, grâce à leur modularité, et de leur trouver une juste place dans une stratégie intégrée de développement local en les articulant avec d'autres initiatives et volets.


Pour aller plus loin

5 fiches d'expérience de Cap Rural :

Campus alpin connecté

Plateforme Brûle ta bûche

Plateforme Urféco

Micro-folie de Craponne-sur-Arzon

Veille foncière agricole et environnementale de la communauté de communes de la vallée du Garon

Autres ressources de Cap Rural sur le numérique :

Et sur l'innovation sociale :

Contact

Laurie Barant, chargée de mission Usages et cultures du numérique, Cap Rural
07 48 88 22 15 - Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.